Le téléphone en main, assis sur un fauteuil de ma chambre, je lisais le dernier message qu'Alex venait de m'envoyer. Je lui avais menti, lui faisant croire que je tournais la page, que j'allai partir. C'était faux, je n'arrivais pas à l'abandonner. Après les quelques messages qu'on s'était échangés ce soir, elle semblait désemparée. Elle venait enfin d'avouer ses sentiments, chose que j'attendais depuis trois ans déjà. Mais devais-je la croire sur parole ? N'était-ce pas une de ses ruses pour me tenir prisonnier de ses chaînes à nouveau ? Je ne savais pas quoi penser. Et Mika qui en avait rajouté une couche en affirmant au même moment qu'elle m'aimait et que lui ne serait jamais plus que son meilleur ami... Je ne savais plus quoi faire ou quoi dire. Je lui répondais froidement, pour ne pas lui laisser penser qu'elle avait gagné. Elle n'avait soi-disant pas envie de me perdre, et je devais bien avouer que je n'en avais pas l'envie non plus. J'avais un poids dans le cœur, coincé entre deux choix. Le premier, l'abandonner et me venger en essayant de la détruire, ce qui me faisait moi même mal, pas habitué à jouer les salopards, ou en tout cas plus habitué. Le deuxième, la croire et replonger encore dans ses bras, lui pardonner, m'abandonner encore à elle. Les deux choix étaient suicidaires.
Je levai le nez de mon téléphone, remarquant l'obscurité de ma chambre. Il faisait sombre et il n'y avait pas un bruit, personne. Dans cette chambre, pourtant spacieuse, j'étouffai. Il fallait que je sorte, il me fallait un bol d'air. Je me levai donc, enfilai une veste rapidement et mis mon téléphone dans ma poche. Je sortis de ma chambre et descendis sur la pointe des pieds l'escalier. Je jetai un bref coup d'oeil à la chambre de ma mère, vérifiant qu'elle dormait bien. Si elle me voyait sortir ou rentrer en pleine nuit, ça chaufferait pour moi. Elle dormait d'un sommeil lourd, comme à son habitude. Heureusement pour moi. Avant de sortir, je pris mon skate. Je savais où aller, et je savais que j'y serai seul. Il ne viendrait pas, puisque toute amitié était dissoute depuis longtemps maintenant. Je quittai donc la demeure et respirai un bon coup l'air frais du dehors. A cette période de l'année, il faisait encore assez chaud la nuit pour se promener tranquillement sans soucis. Cet air qui me remplissait les poumons me fit un bien fou. Je vivais à nouveau. J'enfourchai mon skate, ignorant la sonnerie de mon téléphone qui m'annonçait un nouveau message. Je me laissais guider vers ma destination, ne prêtant pas attention aux quelques jeunes qui traînaient dans les rues non loin de là. J'arrivai tranquillement au skate park. Il n'y avait plus personne à cette heure et j'en fus même étonné. Je me mis à rouler sur mon skate, faisant quelques figures, rien de bien exceptionnel, pour me détendre l'esprit. Puis je me posai sur un banc et allumai une clope. Rien de mieux qu'un skate park de nuit et seul avec une clope pour se détendre les méninges.
Je repensai à ces quatre années que j'avais passé ici, à cette première année, cette unique année où j'avais l'esprit et le cœur tranquille, cette année où je ne connaissais pas Alex et où Mika était mon ami. Enfin, mon ami, façon de parler. A l'époque, je le prenais un peu comme ma chose, comme mon jouet. Il n'était pas du même milieu que moi. Moi j'étais riche, je pouvais m'offrir tout ce que je voulais. Lui, il était pauvre et ne pouvait rien s'offrir. A cette époque, je riais de lui, je le méprisais presque. Qu'est-ce que j'étais con. Pourtant, je le considérais comme un ami. Nous avions même pour habitude de nous retrouver ici, dans ce skate park, pour discuter, raconter nos problèmes ou simplement pour rester là, sans rien faire. A l'arrivée d'Alex, tout a changé. Puis lorsque l'on s'est quitté, tout était terminé. Lui, il était son meilleur ami et je ne supportais pas que ce larbin me prenne celle que j'aimais. Je pouvais tout lui offrir et lui ne pouvait rien. Je me mis à le détester, et il fit de même. L'époque où rien de tout ça n'était arrivé me manquait. C'était paisible, tranquille.
Un bruit m'alerta. Un chat sans doute. J'étais à présent reconnecté à la réalité. J'en profitai pour lire le message qu'on m'avait envoyé avant que je parte. C'était encore Alex. « C'est pareil, surtout que ta Ju', j'suis sure qu'elle te veut pour elle seule, et tu vas tomber dans son panneau ! » Décidément, elle ne savait plus quoi inventer. Comme si Ju' était comme elle. Je lui répondis brièvement et froidement puis levai les yeux au ciel. Qu'il était beau ce ciel, plein d'étoiles, brillant de milles feux. Puis un autre bruit, plus proche cette fois. Je baissai la tête pour voir la cause de ce bruit et vis sortir un ancien ami, quelqu'un que je détestais, arriver de la rue, titubant presque. Il était apparemment défoncé...

« Qu'est-ce que tu fous là toi ? »

Mika était vraiment amoureux d'Alex. Il ne voulait que son bonheur disait-il. Je repensai donc à ce que j'avais dit à Alex peu de temps avant. On était pareils tous les deux. On ne voulait que son bonheur, peu importait qui elle choisirait. J'avais mis longtemps à comprendre ça, mais maintenant, je le comprenais. Alors qu'il parlait, petit à petit, les larmes lui montèrent aux yeux.

- Tu vas finir par totalement me détruire.

Je lui avais fait aussi mal que ça ? Il exagérait. Et lui, il savait le mal qu'il me faisait en tournant autour d'Alex et en me narguant sans cesse ? Il savait ce que ça faisait de perdre ce qu'on a de plus cher et de se le voir enlever par son ancien ami ? Il ne savait rien de ce que je pouvais ressentir, il ne savait pas ce que je pensais, là, maintenant. Il ne connaissait que mon passé, un passé de voyou, un passé misérable, mais j'avais changé, et ça, il ne se l'avouait pas.

-Tu sais rien de moi. Peut-être qu'avant j'étais méprisant, je te regardais de haut en observant ton manque de richesse, mais j'ai changé putain ! Tu comprends pas ça ?! Je te détruis tu dis ? Mais t'as pas idée du mal que tu me fais en traînant sans cesse dans les pattes d'Alex ! Tu me l'as prise, tu me l'as enlevée ! C'est ta faute si on en est là ! Ta faute si elle revient pas vers moi ! Mais tu verras ! Tu verras elle va finir par revenir ! Et si elle revient pas, tant pis ! Au moins je pourrai vous oublier, tous les deux ! Je pourrai enfin être libre ! Je vous emmerde tous les deux !

J'étais à présent debout face à lui. Je le bousculais au fil de mon discours, le poussant à reculer. Il m'avait énervé, moi qui étais si calme à l'instant. Nous nous déchirions là où autrefois nous nous rassemblions.

-Ca fait trois ans bordel ! Trois ans que vous me pourrissez la vie ! Trois ans que tu me nargues et qu'elle se sert de moi ! Tu sais ce que ça fait à l'intérieur ? Ca te consume entièrement, mais faut rien dire surtout ! Non faut jamais rien dire hein ?! Faut se taire et laisser faire ! Mais je suis pas un chien moi ! J'vais plus me laisser faire ! Ca suffit comme ça ! A vous de souffrir pour une fois ! Et tu sais quoi ? Moi aussi au départ je voulais juste son bonheur, mais elle m'a bousillé, alors que je pouvais lui apporter ce bonheur ! Tu sais ce que je lui ai dit avant que t'arrive ? J'lui ai dit que même si elle te choisissait, j'lui en voudrais pas ! J'suis vraiment con hein ?! J'le pense même pas !

Je lui avais attrapé le col à présent. C'était à lui que j'en voulais. Il m'avait tout pris, j'avais envie de le cogner. J'étais rarement violent à ce point, mais il me poussait à bout, sans doute le faisait-il exprès, mais tant pis. Mon poing partit s'écraser contre sa joue, il tomba au sol.