La vie n'est qu'un mensonge. Mensonge, apparences et conneries futiles. J'ai appris ça très tôt, tout petit en fait. J'ai compris que ma mère faisait semblant d'être contente de m'avoir eu mais qu'en fait elle regrettait. Elle me regrettait pas moi mais elle regrettait l'homme qui était mon père et qu'elle n'aurait pas choisi autrement. Elle fait comme si sa vie était parfaite, avec un fils parfait et un mari parfait. Faux ! Non, mes yeux d'enfant ont jamais été aveugles. Ils ont vu, ils ont tout vu. Ils ont vu que les adultes sont des menteurs, qu'ils font semblant pour que tout le monde les envie et que personne ne voit à quel point ils souffrent, à quel point ils sont seuls. Maman se sentait seul et je n'ai jamais été assez grand pour combler ce vide. Mon père ne pouvait rien pour elle, rien pour moi, rien pour nous. Il ne l'aimait pas, il ne m'aimait pas. Papa n'aime que les hommes. Y'a pas de place pour sa femme et encore moins pour son fils. J'ai découvert ça, j'avais quoi, 6-7 ans ? J'étais avec Kamylia, comme d'habitude. On jouait. En fait, on se chamaillait pour savoir qui était le chef. Comme d'habitude. On est passé dans le couloir, la porte du bureau de mon père était entrouverte. Comme des gamins, on a jeté un œil, comme d'hab. Comme des gamins, on a pas compris. Les corps emboîtés, les râles de plaisir, les soupirs, la peau nue, les mains caressantes, deux hommes... Mon père. Et le sien. Ensemble. On a pas compris. Alors on a essayé de faire pareil. Ça a pas marché si bien. Ça vient peut-être de là, notre penchant pour la chair. Enfin, je m'égare.
Papa n'aimait pas Maman donc. Maman aimait sa carrière de cantatrice et elle m'aimait moi. Elle m'a traîné partout avec elle, absolument partout et elle m'a fais. Je veux dire elle a fais de moi ce que je suis, elle m'a formaté comme un pc. Elle a insufflé l'ambition en moi, elle a insufflé la passion de l'art, elle a insufflé le raffinement, elle m'a appris à toujours obtenir ce que je veux. Elle m'a aimé surtout. Énormément. A la folie. Elle a failli me rendre fou avec ça. Ou peut-être qu'elle a réussi en fait. J'ai toujours été un gamin arrogant et soigné. J'écoutais déjà de la musique classique dans le ventre de ma mère. La danse, ça n'a été que l'étape normale quand j'ai commencé à marcher. En fait, je me suis dandiné. Et j'ai jamais arrêté. J'dois avoir des asticots dans le cul. Je vois pas d'autre explication.

J'ai grandi sous une pluie de haine et de moquerie. L'adolescence est un automne dont on ne sort jamais vraiment. On m'en a voulu pour mon existence. Comme si je l'avais choisi. On m'a reproché d'avoir une vie privilégiée. On m'a reproché d'être doué pour la danse. Alors on m'a moqué, on m'a charrié, on m'a dénigré. On m'a haï parce que mes parents ont les moyens. Moi je n'ai rien. On m'a traité de gay parce que j'ai plus de grâce dans mon orteil que certains n'en ont dans tout leur corps. Mais concrètement, je n'y ai étais pour rien. Je n'ai pas choisi dans quelle famille naître. Je n'ai pas choisi les aptitudes que j'allais manifester non plus. Mais ce que j'ai choisi c'est d'être le plus exécrable possible. J'ai choisi de mériter le mépris des gens. J'ai choisi de faire en sorte de mériter l'aversion des gens au lieu de la subir. J'ai choisi de ne pas me laisser dominer par le monde parce que c'est moi qui était censé le dominer, moi et personne d'autre.

J'ai grandi avec confiance. J'ai vécu plus de voyages et engrangé plus d'expériences que n'importe qui. Ma mère m'a arrosé de belles littératures, de belles poésies, de belles manières et de tout un tas d'autres conneries. Le fait est qu'en ne cessant de dire à son fiston qu'il est le plus merveilleux de la terre, il finit par y croire dur comme fer. C'est ce que j'ai fais. En même temps j'ai démontré que j'étais très proche de la vérité de ma mère. Élève studieux, danseur prodige, j'en passe et des meilleures. Elle m'a toujours découragé dans tout ce que je faisais, de bons comme de mauvais. Non chuis pas un fils à Maman mais je vous l'ai dis, elle m'aime trop. J'ai jamais été à l'école, j'ai eu que des précepteurs. Une fois j'ai eu une préceptrice. Une seule fois. J'avais 14 ans. Et elle avait une paire de seins d'enfer. Je l'ai séduite. Non, je déconne pas. Ma première fois. Mémorable. Mais elle est devenue trop collante après. Il a fallu la virer. Elle est devenue barge, elle me harcelait. Une honte.

J'ai jamais eu de la chance avec les femmes. La tendance s'est confirmée par la suite. Mais je me suis pas acharné. Non, j'ai pas viré gay et je le saurai jamais ! Putain c'pas parce que je fais de la danse que chuis gay ! Y'a pas plus hétéro que moi. On me fera jamais rien aimer plus que le giron d'une femme. J'en ai connu beaucoup, de tous les âges, de toutes les origines, de toutes les confessions. Mais je dois avouer que j'ai un faible pour les femmes plus âgées, ma façon de gérer un complexe d'Oedipe persistant j'imagine. C'est comme ça. Je prends mon pied et je cherche pas plus loin. J'ai la belle vie et je le vis bien. Les gens me haïssent mais je m'en porte que mieux. S'ils ont envie de me lécher le cul, qu'ils se fassent plaisir. Sinon, qu'ils crèvent en enfer. Moi ma vie me plaît comme elle est et j'emmerde tout le monde.

« Carmen, mon chéri, tu m'écoutes ? »

Je pose enfin mon regard sur elle. Elle a encore organisé un de ces trucs, un de ces repas pour lèche-culs. J'ai cru que c'était parce que ça lui manquait de se pâmer mais non. J'ai cru que c'était pour mon père et ses éternelles affaires diplomatiques, mais non. En fait c'était pour moi. J'aime bien être le centre de l'attention, ça doit être de famille mais là, c'est pas mon truc. Je sais très bien ce qu'elle cherche à faire quand elle invite une famille dont la fille est jeune et jolie. Je crois que personne m'a jamais autant poussé à coucher que ma mère. Mais là, elle veut plus. Elle veut s'assurer vraiment un nom dans la haute société. Quoi de mieux qu'un mariage. J'ai horreur qu'on se serve de moi, elle le sait. Et j'ai horreur qu'on essaie de me faire faire des choses contre mon gré. Pourtant, elle s'acharne. On ne dit pas non à ma mère.

« Oh Mère, j'entend très bien. »
« Je disais donc que Mallory avait tout d'une bonne épouse, tu ne trouves pas ? Ambitieuse, intelligente et douce. Que demander de plus ? »

Elle ne faisait pas dans la subtilité, pourquoi en ferais-je preuve ? Je soupirais ostensiblement en laissant retomber ma fourchette. Je me redresse et pose mes doigts bien à plat sur la table, comme pour me mettre à jouer. Mais mon doigté ne va pas être au goût de tout le monde, je le crains.

« Je n'ai pas besoin d'elle, si ? »
« Comment ça ? »
« J'ai Kamylia, non ? Ca a toujours été Kamylia, ce sera toujours Kamylia. »
« Combien de fois est-ce que je vais te le dire ? Vous n'êtes pas fiancés. Et pourquoi est-ce que tu t'acharnes ? Tu n'es même pas amoureux d'elle. »
« Et alors ? Ce sera Kamylia ou personne. Fin de la discussion. »

Le tour qu'avait pris la conversation n'avait pas plu à ta mère. Les invités avaient été poussés vers la sortie poliment mais très rapidement, le ton était monté. Ton père était persuadé que tu faisais ça pour te venger qu'il couche avec le père de Kam. Ta mère était persuadée que tu faisais ça par instinct de contradiction. Pas une seule seconde ça ne leur avait traversé l'esprit que ça puisse être pour toi que tu avais pris cette décision. Enfin si on peut dire ça comme ça. C'était juste une évidence pour toi. Tu t'étais pas posé la question plus que ça. Kam avait toujours fais partie de ta vie. C'était pas de l'amour entre vous, juste une osmose si on veut. Tu concevais pas pouvoir être amoureux de qui que ce soit. L'amour d'une mère, tu connais, tu comprends. L'amour d'une femme c'est bien trop dangereux, bien trop instable, t'as pas envie de donner là-dedans. Mais s'il y avait quelqu'un avait qui tu voulais continuer à partager ta vie, c'était bien Kamylia. T'avais beau couché à droite à gauche, t'avais beau faire semblant d'être en couple avec tes cougars friquées en manque d'affection et d'étalons, la suite de ta vie tu ne la voyais qu'avec elle. Ouais, c'est elle que tu voulais épouser et personne d'autre.