Mum? Tu t'avances de quelques pas et traverses l'arche qui sépare la salle à manger de la cuisine. Ta mère lève les yeux et plante son regard clair sur toi. Tu baisses la tête. Ta mère t'a toujours intimidé. Tu l'admires, oui, tu aimerais devenir une femme aussi forte qu'elle plus tard, tu sais qu'elle est une femme d'affaires au parcours exemplaire et qu'elle est particulièrement réputée dans son entreprise. Tu l'as entendu lors de ses discussions téléphoniques avec son patron. Il la remerciait de son dur travail, tu l'as deviné. Il fallait avouer qu'elle passait énormément de temps à son bureau, peut-être même un peu trop, et qu'elle n'était pas vraiment présente pour toi. Depuis le départ en Europe de ton père, suite au divorce de tes parents, elle se faisait même de moins en moins présente, et il arrivait que tu te retrouves seule avec une batty-sitter professionnelle pour parfois des week-ends entiers. Tu ne voulais pas de ça, mais tu n'avais malheureusement pas le choix. Qu'est-ce qui se passe, Birdy-Rosa? Te demande-t-elle d'un ton calme, sérieux, mais assez doux. Tu fronces légèrement les sourcils en l'entendant t'appeler de la sorte. Depuis ton plus jeune âge, tu as pris l'habitude qu'on te nomme Rosa, ou au mieux Birdy, mais surement pas par ton prénom complet. Il est trop long à ton gout, trop vieux jeu. Rosa, c'est plus simple. Birdy, c'est plus mignon. Parfois, tu te demandes même quel diable est passé dans les têtes de tes parents le jour de ta naissance pour que tes parents te prénomment ainsi. Mais maintenant, étant donné que la plupart des personnes que tu côtoies souvent ont pris l'habitude de t'appeler Rosa, tu n'y fais plus vraiment attention. On va au zoo ce week-end hein, comme tu avais dit? Tu demandes timidement en s'approchant d'un pas de plus vers ta mère. Tu relèves le regard et adoptes une mine suppliante. Cela fait déjà tellement longtemps que tu n'es pas sortie avec ta mère. Juste vous deux. Sans appels téléphoniques. Sans sms dérangeants. Avec ce sourire qui te manquait tellement. Car oui, c'était ta mère qui te manquait, c'était sa joie de vivre qui te manquait, c'était les histoires et les câlins du soir qui te manquait, c'était tout ce qui faisait de cette femme ta mère avant qui te manquait. Elle était partie dans un univers où tu ne semblais plus compter à ses yeux, plus exister. Il fallait qu'elle rêgle dans comptes là-bas, qu'elle s'occupe d'engager un nouveau jardinier expérimenté pour s'occuper des trois mille mètres carré que formaient ton terrain si peut utilisé. Il fallait qu'elle trouve un nouveau cuisinier marocain afin qu'il puisse lui préparer de merveilleux couscous lors de ses soirées purement professionnelles en compagnie de son directeur et de quelques uns de ses employés. Elle pensait boulot. Elle parlait boulot. Elle vivait boulot. Et c'était trop étouffant pour toi. Lassant. Ennuyant. Je suis désolée ma puce, mais j'ai encore beaucoup de travail pour ce week-end. Nous avons une nouvelle offre près de Madagascar.. Tu ne l'écoutes pas finir. A quoi bon? Tu sais déjà ce qu'elle va te dire. Ce discours, tu l'entends à chaque fois que tu lui demandes de faire une sortie. Ou plutôt, à chaque fois que tu lui rappelles qu'elle t'avais promis de faire une sortie avec toi, juste vous deux, sans son travail pour vous séparez. Et comme à chaque fois, ça vous éloignez encore plus. Tu serres les poings et sens tes yeux s'emplir de larmes. Tu ne vas pas pleurer, tu dois te montrer forte. Tu ne dois pas craquer devant ta mère. Alors, tu te retournes, et sans même savoir quelle est la réaction de ta génitrice, tu cours dans ta chambre, t'enfermes à clef, et te jettes sur ton lit en pleurant.

Attends, t'es sérieuse là? Un sourire fier, satisfait, se dessine sur tes lèvres et te relèves ton regard vers Drizzle, ta meilleure amie, tout en continuant de passer légèrement tes doigts sur le tissu de cette magnifique robe noire que tu as repéré quelques instants plus tôt. Drizzle te regarde alors comme si tu venais de te transformer en extra-terrestre, visiblement choquée, ou peut-être impressionnée. Tu es folle. Déclare-t-elle en reportant elle aussi son attention sur le rayon de vêtements que vous êtes en train de parcourir. Elle est assez impressionnée de voir que tu t'es tapée le mec le plus populaire de l'école, un gars de dernière année que tu ne côtoies pas vraiment, ou bien très rarement. Tu as toujours été une jeune fille très fêtarde, tu profites de ta jeunesse et te rends souvent à des fêtes plus ou moins arrosées. Tu es surement une des filles qui a la liste de conquêtes aussi longue que le texte d'un discours officiel du président, tu en as conscience, mais à vrai dire, ça t'amuse un peu. Tu t'éclates, et c'est ce qui compte pour toi. Tu caches tes faiblesses derrière ces attitudes de garce que tu as adopté. Tu es une des cheerleaders de l'école. Ton cota de popularité est à son maximum. Les intellos et les geeks te craignent et s'écartent de ton passage dans les couloirs. Tu n'as jamais rêvé mieux : avoir l'école à tes pieds, pouvoir ce que tu veux de chaque individu, on devrait te surnommer Queen R. Seulement, tu sais que tu n'es pas seule, que la concurrence est bel et bien présente. Mais toi, tu as un avantage sur les autres. Tu as Drizzle. Vous êtes amies depuis votre entrée Lake Worth High School et vous ne vous êtes jamais quittées. Elle est tout pour toi. Ta confidente, ta sœur de cœur, ta pote de soirée, ta meilleure amie. Tu lui dis tout, elle te dit tout. Elle sait tout de toi. Elle te connait surement mieux que ta propre mère. Elle est au courant de toutes tes activités, de toutes tes sorties, de toutes tes disputes avec ta génitrice. Tu aimes passer du temps avec elle. Tu sais qu'elle sera toujours là pour toi, et tu lui as toujours fait comprendre que tu serais toujours là pour elle. Vous êtes comme des jumelles, unies comme deux doigts de la main. Les liens du sang ne sont pas toujours les meilleurs, comme tu aimes le dire.